Arcadi Volodos, c’est l’histoire d’un jeune Russe qui découvre le piano sur le tard et devient rapidement l’un des plus grands virtuoses de ce début de siècle. Les plus grands orchestres, les plus grandes salles et les plus grandes œuvres… Il improvise, il arrange, il paraphrase ; il rappelle Liszt, Horowitz… Au-delà du virtuose, ses enregistrements révèlent un musicien coloriste, intelligent enlumineur dans Schubert (récital 2002) ou Liszt (2007)…
Et pour le Palais des Beaux-Arts, ce mardi, Volodos annonce un programme varié qui s’ouvre avec la musique capricieuse de Scriabine. Quelques prodigieux aphorismes et la Sonate n°7 (1911-1912), la Messe Blanche, peut-être l’une des œuvres les plus denses et les plus complexes du tourmenté compositeur… Volodos prend un plaisir évident à se jouer des difficultés techniques pour chanter la richesse, la multiplicité des couleurs, les caractères changeants d’une musique brillamment excessive. Dans une ambiance feutrée d’où jaillit telle ou telle fulgurance, Volodos crée un magma harmonique qui s’épanouit dans la surprise et la finesse de nuances ciselées, de rythmes complexes maîtrisés et d’effets sonores qui font un orchestre de ce piano…
Si Ravel orchestra ses Valses nobles et sentimentales (1911), c’est bien au piano qu’il voulait rendre hommage à Schubert… Un hommage au vocabulaire parfois rugueux, au propos musical cependant limpide… Énergiques, éclatantes ou plutôt rêveuses, élégantes, les Valses sont des contrastes merveilleux qui s’enchaînent et se souviennent une fois la dernière en jeu… Dans un esprit proche de celui qui avait fait vivre Scriabine, Volodos se fait plaisir et s’écoute étouffer quelque motif ou timbrer quelque image lumineuse… Il choisit la liberté des nuances et le travail d’un climat encore feutré plutôt que les scintillements du piano de Ravel…
Après l’entracte, les Scènes de la forêt rappellent un autre maître de la concision, un musicien de l’effervescence presque inexprimable… Le poète Schumann retrouve la délicate expression des Scènes d’enfants en cette année féconde de 1849. Et c’est probablement l’instant où Volodos agace un peu l’auditeur du troisième balcon en cherchant pour la troisième fois de la soirée à accumuler les miracles feutrés, à s’écouter encore, plus qu’à jouer, simplement… Tout est joli, soigné, sensible… Oui, oui… Mais il faut avancer… L’atmosphère de contemplation una corda doit se libérer pour éviter la crise de l’auditeur au bout de la salle…
Et Liszt arrive et tend sa main vigoureuse (et c’est peu écrire…) à ce pauvre auditeur… Après une lecture de Dante, extrait de la Deuxième année de pèlerinage (Italie), est une pièce massive, monstrueuse, et pleine d’octaves redoutables… Mais pas assez, probablement… Volodos « complète » une œuvre déjà puissante en une débauche sonore qui transpire Dante et projette ses visions damnées à la face du public… Libération, succès, bravo… Trois « bis » et lumière… Et c’est la fin d’un concert aux choix musicaux marqués, mais pas tant de choix finalement…
Crédit photographique : Arcadi Volodos © DR