Affluence des grands jours à Pleyel pour cette série de concerts du mythique Orchestre du Gewandhaus de Leipzig avec son chef depuis 2005 (prolongé jusqu’en 2020) Riccardo Chailly. Programme on-ne-peu-plus classique, avec une fois encore à Paris l’intégrale des symphonies et concertos de Johannes Brahms. Toutefois, joué ainsi, on est en mesure d’en redemander.
Brahms par le Gewandhaus de Leipzig, c’est la tradition magnifiée. L’orchestre – le plus ancien du monde – a créé de nombreuses oeuvres du compositeur. Le lien entre eux est évident. Qu’en est-il près de 135 ans plus tard ? Evidemment les instruments (surtout les vents) et le jeu ont évolué et le pupitre de cordes s’est étoffé (Brahms n’avait pas 16 premiers volons à sa disposition). La qualité exceptionnelle de l’ensemble, l’homogénéité, la technique quasi parfaite de l’orchestre sont stupéfiantes. Rien ne dépasse, tout est joué au cordeau, sans le moindre accroc. Les alliages instrumentaux si caractéristiques de Brahms – surtout pour les oeuvres finales – sonnent comme jamais, les attaques parfois périlleuses des cordes (mouvement lent du Concerto pour piano n°2, premier mouvement de la Symphonie n°4) sont réalisées avec une facilité déconcertante.
Au-delà de cette plasticité parfaite, comment sonne Brahms par Chailly ? Est-ce autant débordant que sa lecture du compositeur qui lui est souvent opposé, Mahler ? Au contraire, Riccardo Chailly reste le plus objectif possible, joue sur les contrastes et les plans sonores, comme si cette musique « pure » pouvait se suffire à elle-même, sans pathos supplémentaire. Cela fonctionne dans les oeuvres les plus dramatiques (Symphonie n°1, Double concerto, Symphonie n°4) mais avec les plus « pastorales » Symphonies n°2 et 3 l’auditeur reste parfois sur sa faim. Brahms sans un minimum d’épanchement, joué avec l’objectivité qui sied pour Mozart ou Haydn – dont il est l’héritier – mais avec un effectif pléthorique post-romantique nous éloigne des standards habituels. L’idée est défendable, surtout avec un tel orchestre, et ne manque pas de susciter une fois encore l’interrogation : Brahms dernier des classiques ou précurseur ? C’est peut-être cette ambivalence (en plus de son statut germanique) qui l’a fait honnir de Fauré et Debussy.
Du coté des solistes, du grand, voire du très grand, en accord avec la vision objective de Chailly. Seul bémol, le remplacement pour le Double concerto initial de Leonidas Kavakos par Julian Rachlin. Mèche blonde au vent, le violoniste arrivé au pied levé (la veille) ne fait pas le poids face au violoncelle sonore et imposant d’Enrico Dindo. Arcadi Volodos dans le Concerto n°2 fait preuve d’un toucher exceptionnel, toujours souple, toujours puissant sans jamais être percussif. Pierre-Laurent Aimard joue le Concerto n°1 avec la même objectivité, mêlant littéralement le piano à la masse orchestrale. Enfin Leonidas Kavakos, cette fois bien présent pour le Concerto pour violon, a décoiffé le public et s’impose définitivement comme une star actuelle de l’archet. Point de bis pour les solistes – malgré de nombreux rappels – mais trois Danses hongroises jouées au cours des quatre concerts. Là aussi, en toute objectivité, loin des lectures débridées usuelles.